« Yesterday » (le film) a-t-il plagié « Yesterday » (la BD), sur un monde sans Beatles ?

« Yesterday » : qui de l’œuf ou de la poule ?

« Yesterday » : qui de l’œuf ou de la poule ? DAVID BLOT / MANOLOSANCTIS / UNIVERSAL PICTURES

Le film de Danny Boyle, qui sort sur les écrans ce mercredi, présente des similitudes troublantes avec la BD de David Blot, parue en 2011.

S’il l’avait intitulée « Œufs brouillés » (« Scrambled Eggs »), comme le lui suggérait son ami Paul McCartney, le scénariste Richard Curtis n’aurait pas éveillé tant de soupçons sur l’origine de sa comédie romantique autour d’un monde sans Beatles. Mais il l’a appelé « Yesterday ». Comme la mythique chanson des Fab Four (dont le titre de travail était « Scrambled Eggs »). Et comme la bande dessinée de David Blot et Jérémie Royer, parue en 2011.

Dans cette courte BD, les auteurs imaginent les aventures de John Duval, un musicien amateur new-yorkais, né le jour de la mort de John Lennon, élevé par sa mère dans le culte des Beatles, qui se retrouve propulsé en 1960, avant l’éclosion du groupe, reprend leurs chansons et rencontre la gloire.

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Le film de Danny Boyle, écrit par le scénariste de « Notting Hill » et « Love Actually » se déroule, lui, de nos jours. Il met en scène Jack Malik, un musicien amateur anglais sans succès, qui, victime d’un accident de la route lors d’un black-out, se réveille dans un monde où il est le seul à se rappeler des Beatles, reprend leurs chansons et rencontre la gloire.

Résumé ainsi, la filiation est évidente, comme si « Yesterday », le film, mixait « Yesterday », la BD, et « Jean-Philippe », la comédie de Laurent Tuel où Fabrice Luchini, fan de Johnny, se réveille dans un monde où Jean-Philippe Smet l’est resté et tient un bowling. Voir le film et lire la BD rend les choses plus complexes.

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Trois gros points communs

Ouvertement influencée par « Peggy Sue s’est mariée » et par « Retour vers le futur », la BD de Blot et Royer est centrée sur la découverte par son héros du New York de 1960, ses rencontres avec Bob Dylan, Andy Warhol et avec son futur groupe, ses conquêtes féminines, son crush et sa rupture avec Eli, son grand amour.

Ce que raconte le film, soit l’ascension du chanteur inconnu vers la gloire grâce aux chansons des Beatles, est résumé dans la BD en une ellipse, entre la scène où John Duval, pour noyer son chagrin d’amour, se met à gratter « Yesterday », seul sur sa guitare, et sa descente d’un avion avec les membres de son groupe, accueillis comme des rock stars. Une partie de l’histoire que l’auteur David Blot a évacuée par contrainte budgétaire et sur laquelle il comptait revenir dans une suite qui n’a jamais vu le jour. Le plagiat serait-il dans l’ellipse ? Elle rend, en tout cas, d’autant plus troublante la parenté entre les deux œuvres.

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La BD et le film partagent trois gros points communs - le concept du type qui se réapproprie la musique des Beatles en leur absence ; le titre, « Yesterday », chanson-déclic grâce à laquelle le héros a l’idée de son imposture ; et, attention, spoiler !, la culpabilité qui l’assaille et son rachat consistant à rendre la musique des Fab Four à l’humanité -, que l’on peut facilement mettre sur le compte de la coïncidence, d’un imaginaire collectif autour d’un mythe pop culturel aussi énorme que les Beatles. C’est un détail qui pose problème, la plus anecdotique des similitudes qui sème le doute : l’amoureuse du héros, celle autour de laquelle tourne toute l’histoire, a le même prénom - sans aucune référence beatlesienne - dans les deux « Yesterday ». Dans le film, Ellie, dans la BD, Eli ! Étrange, non ?

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« Je cherche simplement à remettre en avant ma BD »

Richard Curtis ne revendique pas l’idée originale de « Yesterday ». Officiellement, tout serait parti du scénario d’un certain Jack Barth, un obscur soutier du métier, crédité au générique de la comédie horrifique anglaise « Attack The Block » pour « development services » (!) et comme auteur de séries, dont un épisode des « Simpsons ». Acheté par le producteur Matthew James Wilkinson et par la société Working Title, collaboratrice attitrée de Curtis, le scénario de Barth aurait été confié à l’auteur-star pour qu’il le réécrive. Mais Curtis, selon ses dires, aurait préféré ne pas lire le script et partir d’un simple pitch pour imaginer les choses à sa manière. Que de précautions ! (lire l’histoire officielle de la genèse ici) Pour ne rien arranger, un coup d’œil sur la page Wikipédia du film nous informe que lorsque la production a été lancée, l’histoire se déroulait initialement dans les années 1960 !

De son côté, David Blot, l’auteur de « Yesterday », plus connu comme animateur, spécialiste des musiques électroniques, sur Radio Nova, n’a jamais été contacté par quiconque en rapport avec le film. Quand il a découvert son existence en mars dernier grâce à la bande-annonce, il est tombé de sa chaise. En 2013, Blot avait été approché par deux producteurs de cinéma dont un Belge, en contact avec des Anglais, qui lui avait dit vouloir adapter sa BD sous forme de série télé avant de disparaître dans la nature. L’idée aurait-elle fait son chemin par ce biais ?

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Blot a profité de la campagne de promotion autour du film pour mettre en ligne sa BD gratuitement afin que chacun se fasse son avis.

« Je ne cherche pas à porter atteinte au film que je n’ai pas vu, précise-t-il, mais à remettre en avant ma bande dessinée sur un type qui devient célèbre en s’appropriant les chansons des Beatles, est gagné par la culpabilité et aime une femme qui s’appelle Eli ».

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Blot aimerait trouver un éditeur pour mettre en chantier la suite. Reste à savoir ce que pense de tout ça Kaiji Kawaguchi : en 2011, année de parution de la BD de Blot et Royer, cet auteur japonais a sorti le manga « Boku Wa Beatles » sur un groupe de reprises des Beatles, projeté dans les années 1960 à la suite d’un accident de train, qui se retrouve en concurrence avec les vrais Beatles !

« Here, There and Everywhere », ici, là et partout, fredonnaient John, Paul, George et Ringo. Ils chantaient aussi « You Never Give Me Your Money » (« Tu ne me donnes jamais ton argent »).

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