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A Paris, les rues du quartier de Belleville se vident avec la peur du coronavirus

La phobie de cette maladie ne se limite pas aux seuls touristes : une bonne partie de la clientèle chinoise a, elle aussi, disparu ces derniers jours.

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Publié le 07 février 2020 à 20h47, modifié le 10 février 2020 à 10h45

Temps de Lecture 4 min.

Dans le quartier chinois de Belleville, à Paris, le 7 février.

Voilà deux semaines que les commerces de Belleville, quartier cosmopolite, populaire et bouillonnant du Nord-Est parisien, tournent au ralenti. Les clients ont déserté les supermarchés et grossistes asiatiques, les restaurants chinois comme thaïlandais paraissent vides, même les vendeurs à la sauvette ne sont pas au rendez-vous. Les rues habituellement très passantes, animées, joyeusement en désordre, sont anesthésiées par l’inquiétude irrationnelle autour du nouveau coronavirus. La phobie de cette maladie ne se limite pas aux seuls touristes : une bonne partie de la clientèle chinoise a, elle aussi, disparu ces derniers jours.

En France, il n’y a aucun signe d’épidémie de 2019-nCoV. Les six cas confirmés sur le territoire français « sont stables », rappelait le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, lundi 3 février. Pourtant, l’inquiétude qui s’est développée a des conséquences bien réelles : moins d’une douzaine de clients font leurs courses dans un des plus grands supermarchés asiatiques du quartier, dont les allées paraissent subitement gigantesques. « Un vendredi matin de marché, les chariots s’y bousculent normalement, là, il n’y a personne », déplore le gérant du magasin. Le trentenaire d’origine vietnamienne estime que son chiffre d’affaires est actuellement inférieur de 30 % par rapport à la même période l’an dernier.

Ruée sur les masques

Une femme portant un masque de protection fait son marché dans le quartier de Belleville, à Paris, le 7 février.

Qu’ils soient thaïlandais, japonais, cambodgiens ou chinois, les restaurateurs d’origine asiatique ne cachent plus leur angoisse des conséquences économiques de cette appréhension. « D’abord les grèves de décembre, maintenant le coronavirus. Combien de temps mon commerce va-t-il pouvoir rester encore ouvert, faute de clients ? », se lamente une restauratrice thaïlandaise. Seuls trois hommes déjeunent sur la quinzaine de tables dressées. « Notre chiffre d’affaires est en baisse de 50 %. On continue de travailler malgré tout en espérant que le mois prochain sera meilleur », tente de philosopher la quinquagénaire.

« L’inquiétude ambiante est un virus facilement transmissible »

En temps normal, la brasserie La Vielleuse est bruyante et la terrasse bondée. En cette fin de semaine, même les tables extérieures qui donnent sur le carrefour de la rue et du boulevard de Belleville sont loin d’être prises d’assaut. « L’inquiétude ambiante est un virus facilement transmissible », croit deviner Walid, le nouveau cogérant. Peu de commerces sont épargnés par ce phénomène : l’un des bureaux de tabac situés un peu plus haut dans la rue de Belleville est, lui aussi, moins animé qu’à l’accoutumée. « Les deux derniers dimanches, ça a été catastrophique. Les annulations d’anniversaires, de fêtes de fiançailles et de mariage ont des répercussions énormes pour tout le monde, on ne fait pas exception », se désole la jeune vendeuse de cigarettes.

Une panique confirmée par une pharmacienne qui raconte que les clients d’origine asiatique sont à la recherche de nombreux masques chirurgicaux ou respiratoires. « Moins de quarante-huit heures après avoir reçu 700 masques, je suis en rupture de stock », explique Hakima. De nombreux clients sont prêts à débourser beaucoup afin d’envoyer des masques pour leurs familles en Chine. Les gels hydroalcooliques et les vaporisateurs d’huiles essentielles partent également à toute vitesse : « On a beau leur dire que cela n’est pas utile, qu’ils devraient plutôt se vacciner contre la grippe saisonnière, ils ne veulent rien entendre ! La population asiatique en a besoin pour se rassurer. »

Des familles se mettent elles-mêmes en quarantaine

« Une prostituée est entrée dans mon magasin en assurant que tout Belleville allait être bouclé le lendemain », relate un commerçant, stupéfait par la facilité avec laquelle se répandent les fausses informations. Qu’elles circulent en pleine rue ou enflamment le réseau social chinois WeChat, elles hystérisent un peu plus cette période compliquée pour la communauté chinoise. Aussi, par le biais des messageries instantanées, les Chinois de Belleville communiquent quotidiennement avec leurs familles, installées pour beaucoup dans la province de Wenzhou. Cette ville portuaire, proche de Shanghaï, est devenue, depuis le 2 février, le deuxième foyer principal du coronavirus en Chine.

Comme dans la province du Hubei, épicentre de la crise, les autorités appellent les habitants à rester cloîtrés chez eux pour tenter de lutter contre l’expansion du virus. Le maire de Wenzhou, Yao Gaoyun, a d’ailleurs fait savoir que son objectif était que « les habitants ne sortent pas de chez eux durant une semaine ».

Alexandre Xu, gérant de l’établissement Chez Alex dans le quartier parisien de Belleville, pose dans son restaurant, le 7 février.

Par mimétisme, des familles chinoises habitant en France se mettent elles-mêmes en quarantaine, sans avoir voyagé ou côtoyé qui que ce soit de malade récemment. « Les Chinois subissent les informations venues de Chine, les histoires d’amis et de familles confinés et ils s’imposent ça à eux-mêmes. Il y a une sorte d’effet miroir qui fait rejaillir l’inquiétude en plein Paris alors qu’elle vient de plusieurs milliers de kilomètres », interprète le restaurateur Alexandre Xu, installé à Belleville depuis vingt-cinq ans.

A la peur pour certains de devoir mettre la clé sous la porte, s’ajoute pour d’autres celle d’être pointés du doigt. « Qu’ils aient juste un rhume ou non, certains clients habituels restent chez eux et se font discrets en attendant que l’orage passe. Ils se mettent aussi à l’écart pour éviter d’être stigmatisés », selon Véronique Leclerc, qui travaille au bar Le Relais de Belleville. Lin, une trentenaire à la tête d’une pâtisserie asiatique, confirme que c’est ce qu’a choisi son oncle : « Il a déjà fait une première quarantaine en rentrant de Chine. Il n’est pas malade, mais il préfère rester à la maison quatorze jours de plus. »

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